8 ans après son dernier disque, l’album Mogoya d’Oumou Sangaré est paru le 19 mai 2017 chez No Format!. Elle y apparaît sous un nouveau jour, dans de nouveaux habits. Rencontre avec la diva malienne de passage à Paris.
Ton dernier album, Seya, c’était en 2009. Pourquoi as-tu pris autant de temps ?
Je suis pas stressée, et puis je fais beaucoup d’autres choses. Je continue de jouer dans le monde entier, donc je me suis pas ennuyée. Mais mes fans se sont ennuyés, alors ils me mettent la pression (elle rigole). Mais je ne m’ennuie jamais.
C’est difficile pour toi d’accoucher d’un nouveau disque ?
Quand je sors un disque au Mali, c’est un événement. Alors j’ai peur de décevoir : les gens attendent des conseils, des belles mélodies, c’est du boulot, ça prends du temps. Et je n’aime pas être stressée quand je compose. Les faits de la société m’inspirent beaucoup, tous les jours, c’est pourquoi je veux vivre au Mali, même si j’ai des maisons ailleurs, mais c’est le Mali qui m’inspire. Je parle au monde entier mais je m’adresse d’abord aux Maliens, et il faut être au milieu d’eux pour bien les comprendre. Donc j’écris d’abord mes paroles, puis ensuite viennent la mélodie et le rythme.
Mogoya, c’est un disque qui a beaucoup voyagé avant de sortir.
C’est un disque qui a pris son train au Mali déjà. Après je suis allé en Suède avec tout le groupe, deux semaines. Ensuite, le disque est arrivé à Paris. Le trio A.L.B.E.R.T. a beaucoup travaillé dessus. Au final, c’est beaucoup d’esprits qui ont apporté leur contribution à cet album.
Quand on écoute Mogoya, c’est un vrai virage. Il y a Oumou Sangaré, mais qui aurait changé complètement ses habits. On est souvent pas loin des musiques électroniques…
La première fois que j’ai écouté mes morceaux arrangés (ndlr par le trio A.L.B.E.R.T.), je me suis dit waouh c’est magique, mais j’attendais d’entendre le ngoni… il est arrivé et j’ai dit walaa ! c’est ce que je voulais. C’est un changement, mais ils ont respecté la mélodie du Wassoulou, le rythme et les mélodies d’Oumou.
L’électronique c’est ce qui fait danser l’Afrique. On a besoin de conserver les anciennes musiques, les anciens rythmes. Mais en même temps que je les conservais, la jeunesse me disait : « quand est ce qu’on pourra danser sur Oumou en boite ? ». Alors je me demandais ce que je pourrais faire pour eux, sans dénaturer ma musique. Quand j’ai entendu les arrangements du trio A.L.B.E.R.T. j’ai dit : voilà ! je m’accroche à la jeunesse, à leur demande. C’est tout simplement beau.
« Yere faga », c’est une chanson sombre. Tu parles d’une question souvent taboue, celle du suicide. Pourquoi tu voulais parler de ça ?
La vie d’un artiste, surtout quand Dieu te donne le succès, ça a un prix, et ce prix est douloureux : ça coûte cher, surtout quand on est pas fort de caractère. Il y a beaucoup d’artistes qui sombrent dans l’alcool, les excitants, dans… toutes les merdes du monde : c’est pour oublier ce qu’on leur dit.
Je veux pas faire tout ça, alors dans ces cas là je m’enfonce dans le travail. Mon excitant à moi c’est le travail. Quand les fausses rumeurs circulent, je continue à travailler, à travailler, je me réfugie là-bas plutôt que dans les excitants, mais il faut reconnaître que c’est dur. Des fois ça peut arriver que tu arrives jusqu’au bord de te suicider.
Ça t’est arrivé ?
Moi ? Non, je suis trop forte de caractère (elle rit). Dieu merci je n’ai jamais… je n’ai jamais pensé à me suicider, j’ai dit non non non, tu es venue pour une mission, tu dois l’accomplir avant de partir.
En fait dans la chanson je parle de ceux qui pensent au suicide. Et je leur dis : regardez moi, j’aurais du être la première à le faire… on a même été jusqu’à dire que j’avais tourné dans un film porno! Mais bon, la calomnie, ça s’explique : c’est parce que j’ai fait des choses que personne avant moi n’avait faites. Quand j’ai voulu construire un petit hôtel seulement, j’étais la première. Or nous les artistes en Afrique, on était assez mal vus : généralement, on avait pas de respect pour nous, les femmes surtout, si elles chantaient c’étaient des putes, les hommes : des drogués… donc c’était cette vision là ! Et qui peut enlever cette vision là si ce n’est nous, selon notre comportement. Donc après avoir tourné pendant dix ans, j’ai réuni le peu que j’avais gagné pour venir poser la première pierre de l’hôtel fait par un artiste au Mali. Et quand l’immeuble a commencé à pousser c’est là que tout a commencé : les calomnies, les conneries… j’ai entendu des choses pas possibles. Et après j’ai compris, c’est le prix du succès aussi. Comme les Africains, surtout les Maliens, ils pouvaient pas imaginer qu’un artiste pouvait avoir autant d’argent, surtout une femme… comme les hommes n’avaient pas fait ça avant moi, j’ai dû le payer! Je devais être prête à ramasser les pots cassés.
Mais c’est incroyable aujourd’hui je suis aimée par les femmes et les jeunes filles du Mali, et j’ai été un exemple… tout le monde veut devenir Oumou Sangaré, parce que je fais pas mal de choses… pas seulement l’hôtellerie : j’ai ma marque de voitures Oumsang (ndlr Oumou Sangaré est concessionnaire d’une marque automobile qui porte son nom. Elle vend des véhicules 4X4 baptisés « Oumsang »), et j’ai aussi fait venir 200 taxis. Bon, les jeunes chauffeurs ont tout cassé… Il se sont dit : elle a beaucoup d’argent, donc elle s’en fout. Les gars gardaient l’argent pour eux, négligeaient les véhicules, et donc j’ai arrêté, j’ai juste laissé les voitures à une dizaine de gars sérieux. Pourtant c’était une bonne affaire : j’achète le taxis, tu travailles deux ans, et le taxi te revient… je demandais 10.000 CFA par jour, je voulais seulement les aider. Mais il faut réveiller leur conscience, et on va y arriver. C’est pour te dire qu’on a besoin de travailler la conscience de la jeunesse en Afrique, car même si on crée des emplois, c’est pas suffisant. Il faut que les jeunes comprennent que même si les parents t’accompagnent un peu… personne pourra faire ta vie à ta place.
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